Apparu, il y a une année à Mahdia, il est même capable de décimer en quelques années les plantations de cactus d’un pays si des programmes d’urgence de lutte intégrée ne sont pas mis en place.
L’élaboration de la stratégie nationale de contrôle et de lutte contre la Cochenille du Cactus, un ravageur transfrontalier dévastateur qui menace une filière pourvoyeuse d’emplois, notamment pour la femme rurale, devrait être achevée vers le début du mois de décembre 2022. Dotée d’un budget estimé à 40,2 millions de dinars sur trois ans (2023/2025), cette stratégie, initiée par le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, sera soumise à l’examen en conseil ministériel pour son adoption, a fait savoir Mohamed Habib Ben Jamaâ, directeur général de la santé végétale et du contrôle des intrants agricoles au sein de ce département ministériel.
Dans une déclaration à l’Agence TAP, le responsable a rappelé que la première version de la stratégie en question a été débattue avec des représentants de différentes structures régionales et centrales des ministères de l’Agriculture, de la Défense, de l’Environnement, de l’Equipement, de l’Industrie et des Finances afin d’introduire les amendements nécessaires conformément aux recommandations et propositions de ces derniers. La décision de mettre en place cette stratégie, rappelle encore Ben Jamaâ, est intervenue en raison de la propagation rapide de l’insecte ravageur et de la difficulté de le contrôler en l’absence d’une feuille de route claire. Concrètement, la stratégie permettra d’encadrer et d’organiser les opérations de contrôle et de lutte, l’identification des responsabilités des différents intervenants, le renforcement des capacités matérielles, techniques et logistiques pour organiser le flux de travail et renforcer les volets sensibilisation et vulgarisation, a-t-il fait savoir. Et d’ajouter que l’accent sera, également, mis sur le volet recherche afin d’identifier des variétés résistantes aux attaques de ce ravageur. Selon le ministère de l’Agriculture, cette stratégie a pour principal objectif d’accélérer la mise en place des interventions d’éradication de ce fléau, d’autant plus que « chaque retard qui sera enregistré dans la mise en œuvre du programme de lutte entraînera une nouvelle expansion de cette maladie et un doublement des coûts ».
Premier foyer détecté à Mahdia
Des experts et des représentants de la société civile ont déjà mis en garde contre ce ravageur dévastateur avant l’apparition, fin août/début septembre 2021, du premier foyer à Mahdia, a souligné l’expert en développement agricole et rural, Nourredine Nasr, rappelant que ces appels sont intervenus dès l’apparition de la cochenille, en août 2021, à l’Ouest de l’Algérie (Tlemcen sur la frontière Nord avec le Maroc). Avant 2014, l’Afrique du Nord était une région indemne de ce ravageur avant sa découverte, fin 2014, à Saniyet Berguig (commune rurale au Maroc). A cette époque, a-t-il ajouté, le Maroc était en plein programme de plantation du cactus avec pour objectif d’atteindre 160.000 hectares et 2 millions de tonnes de fruits en 2020. En quelques années et malgré tous les efforts déployés par le gouvernement du Maroc, la cochenille du cactus s’est propagée presque dans toutes les régions du pays et a décimé presque la totalité du cactus, a-t-il déploré.
Revenant sur la situation en Tunisie, Habib Ben Jemaâ a fait savoir que la cochenille du cactus a été signalée à ce jour dans cinq gouvernorats avec plus de 112 foyers répartis sur 16 délégations. Après l’apparition du premier foyer sur les figuiers de Barbarie à Mahdia, l’insecte s’est déplacé touchant le gouvernorat de Kairouan, puis Monastir, Sousse et Sfax. Les conditions climatiques défavorables et la multiplicité des moyens de propagation de l’insecte sont les principales causes de l’augmentation quotidienne du nombre de foyers et de zones infestés, a déploré le responsable, évoquant le manque de ressources humaines, des moyens de transport et la présence du ravageur dans les pays avoisinants (Maroc, Algérie), outre l’utilisation de la laine de mouton provenant des zones infestées et les contaminations causées par les oiseaux. Il a, dans ce cadre, fait savoir que le ministère de l’Agriculture, en collaboration avec les gouverneurs des régions touchées, a déjà cerné et isolé les zones infestées, interdit le déplacement des moyens de transport et des animaux, notamment les ovins des zones infestées vers les zones saines et le transfert des fruits et des raquettes des figues de Barbarie infectées vers les zones saines. Des fonds ont été, également, mobilisés pour favoriser les opérations d’éradication et de traitement des figuiers infestés et acquérir le nombre de matériaux nécessaires. Il a souligné dans ce sens que les opérations de déracinement et d’enfouissement ont démontré leur efficacité dans la lutte contre ce ravageur, estimant toutefois qu’elles restent coûteuses.
Pourtant la filière est porteuse !
Pour le responsable, l’objectif de cette démarche est de préserver cette filière en Tunisie, l’un des premiers pays producteurs de figues de Barbarie. «Ce secteur est important et pourvoyeur d’emplois notamment pour les femmes rurales», a-t-il avancé. Il fournit les fruits pour la consommation humaine, les médicaments et les produits cosmétiques grâce à sa transformation industrielle, les fourrages pour le bétail, outre la lutte contre la désertification et la préservation de la biodiversité, a-t-il encore expliqué. Et de rappeler que le taux de production nationale est d’environ 550.000 t de fruits, ajoutant que la superficie cultivée est d’environ 600 mille hectares (400.000 hectares de variété lisse et 200.000 hectares de variété épineuse), dont 143.000 hectares de terres agricoles structurées détenues par environ 150.000 producteurs. Pour ce qui est de la transformation industrielle de la figue de Barbarie, plus de 42 entreprises étaient actives dans la filière en 2020, dont plus d’une vingtaine sont des entreprises exportatrices de matières extraites avec haute valeur économique, a indiqué Ben Jemaâ.
Parer à l’urgence !
Pour limiter la propagation de ce fléau, Nourredine Nasr recommande aux autorités de tutelle d’annoncer officiellement la présence de l’insecte de cochenille en Tunisie pour bénéficier d’un soutien international, en particulier des programmes d’urgence de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et à appliquer strictement la quarantaine agricole pour limiter la propagation de l’insecte. Il a, également, mis l’accent sur l’importance de former les agriculteurs et les investisseurs sur les méthodes de résistance intégrée, notamment, la prévention via la détection précoce pour les investisseurs. Pour l’expert, l’abus de pesticides n’est pas la bonne solution, recommandant le traitement à l’eau et au savon. Il a, également, appelé à la nécessité de ne pas prendre le risque de création de projets de plantation de figues de Barbarie ou d’installation d’unités de transformation industrielle. A rappeler, la cochenille de cactus est un insecte hémiptère, ayant de longues antennes, deux paires d’ailes et des pièces buccales piqueuses, qui appartient à la famille des Dactylopiidae qui comportent plusieurs espèces dont les plus connues sont: le Dactylopius coccus et le Dactylopius opuntiae. Ces deux espèces vivent sur les raquettes de cactus. Le Dactylopius coccus est appelé la bonne cochenille vu qu’il produit le colorant naturel appelé le rouge de carmin contrairement à Dactylopius opuntiae qui est appelé la méchante, selon Nasr. Des taches blanches régulières apparaissent sur les raquettes et les fruits des cactus touchés. Le Dactylopius opuntiae est capable de décimer en quelques années les plantations de cactus d’un pays si des programmes d’urgence de lutte intégrée ne sont pas mis en place, a-t-il ajouté.